Notre vision des tendances de la presse IT

Par Yves Grandmontagne, journaliste et co-fondateur de HBT

Notre portrait de la presse française est contrasté : les modèles économiques du XXe siècle – abonnements, publicité, petites annonces et offres d’emploi – ont été balayés par la vague de l’Internet et le modèle pervers de la gratuité. La télévision et la radio se maintiennent à un bon niveau grâce aux recettes de la publicité ‘consumer’. Les grands quotidiens et les magazines d’information et économiques sont sous perfusion de l’Etat et de leurs prestigieux acquéreurs, comme Le Monde avec Xavier Niel (Free) et Mathieu Pigasse (également Les Inrock). Les grands domaines de consommation se maintiennent, parfois difficilement, comme la presse people, féminine, automobile, cuisine, santé, voyages, etc. Les domaines spécialisés souffrent de nombreux maux, comme la chute du papier au profit de l’Internet et la migration des annonceurs vers la communication produite en interne.

Dans les domaines de niche, comme l’informatique, si quelques magazines subsistent grâce à un lectorat et quelques annonceurs fidèles mais vieillissants, la majorité de la presse papier a disparu au profit de la presse Internet. Pour autant, celle-ci n’est guère mieux lotie : la concentration des acteurs par fusions et acquisitions réduit leur nombre, la compression des coûts invite à réduire les budgets, la pression des agences de pub impose des conditions de campagnes extravagantes, sans oublier l’obsolescence des modèles économiques, et la difficulté de recruter.

Notre vision de la concurrence

Les médias existants continuent majoritairement de vivre sur leurs acquis. Ils sont traditionnellement le relais entre les fournisseurs et leurs clients, c’est pourquoi l’essentiel de leurs informations porte sur les produits. Or, la cible des fournisseurs IT, le DSI et décideur IT, a changé ses modes d’information : elle est d’abord et traditionnellement courtisée par les forces commerciales des fournisseurs, et recherche en priorité sur leurs sites et sur internet les informations relatives à leurs projets et aux produits dont elle envisage de s’équiper.

Ils s’accrochent également à leurs modèles économiques, publicité, génération de lead et événement sponsorisé. Et comme ils se concurrencent avec les mêmes modèles, le marché est saturé de leurs offres, les lecteurs s’en détournent, et la qualité du visitorat s’étiole. Jusqu’aux newsletters qui sont certes reçues, et demeurent un point d’accès à l’information, mais ne sont plus lues, tout juste effleurées dans la boite mail.

S’ajoute à cela une uniformisation éditoriale qui pousse les sites d’information à publier la même information, comme à reprendre les informations en tête des news de Google pour espérer disposer d’articles indexés par ce dernier (ce qui garantit quelques milliers de lecteurs supplémentaires, mais virtuels et non qualifiés). Ainsi que la nécessité de produire des articles à la volée et uniformisés pour alimenter des newsletters, derniers refuges de la publicité.

Enfin, un dernier phénomène pourrait sonner le glas de la presse spécialisée en ligne, la tendance au marketing de contenu (content marketing) qui invite à ne plus produire pour informer le lecteur mais pour qu’il lise un contenu qui l’oriente vers le fournisseur qui le sponsorise. Cette dérive se concrétise dans la presse informatique par le rachat des médias existants par des acteurs de la communication et du lead (le lecteur qui s’identifie en téléchargeant un livre blanc ou en s’inscrivant à un événement), récemment LMI par De Facto, IT for Business par Canaltech, Silicon.fr par Reworld Media, Le Mag IT par TechTarget.

Notre bilan est sans appel, le modèle classique des médias spécialisés et en ligne est obsolète.